Alber : “Moi, je fais de l’impact visuel”
Alber, graffeur et figure du street art girondin, fait voyager ses personnages aux quatre coins de la France. Leurs couleurs vives et leurs lignes multiples se rencontrent de manière percutante, nous invitant à ouvrir l’œil et à nous laisser surprendre au détour d’une rue.
“Alber” : la disparition du “T” est intrigante. Te serais-tu réapproprié cette dénomination ? Peux-tu nous en livrer la symbolique ?
Depuis mes débuts à l’âge de 15 ans, je suis passé par plusieurs blazes en tant que graffeur. À une époque, étant plusieurs graffeurs à emprunter le même blaze, j’ai souhaité me trouver un nom bien à moi. Mon grand-père s’appelait Albert et j’ai effectivement décidé d’enlever le T pour créer un raccourci. Dans le graffiti, tu essaies de trouver des blazes assez courts pour pouvoir les écrire rapidement. Ça me permettait d’avoir un nom de graffeur plus personnel qu’un blaze classique et je trouvais que les lettres étaient cool.
D’où tiens-tu cette appétence pour l’art urbain ?
J’aimais beaucoup dessiner quand j’étais petit. À l’époque, le mouvement hip-hop me faisait vraiment kiffer et j’ai l’impression que la musique que j’écoutais, à tendance hip-hop / rap, m’a notamment permis de transformer mon dessin “classique” en tag et en graffiti. C’est aussi grâce à un garçon, arrivé de Paris dans mon collège de campagne, qui venait à l’école avec des magazines de graffiti, des marqueurs… C’est lui qui m’a un peu mis le pied à l’étrier. À partir de ce moment-là, je n’ai plus lâché le truc jusqu’à aujourd’hui.
T’es-tu d’abord initié au tag, au lettrage, ou expérimentes-tu l’art figuratif depuis toujours ?
Je viens vraiment du tag et du graffiti. Pour moi, les personnages et le figuratif font aussi partie du graffiti. D’anciens graffeurs ont toujours amené des personnages dans les fresques. Au début j’aimais dessiner des lettres, mais je me suis vite inspiré de certaines personnes autour de moi qui faisaient pas mal de personnages. Je me suis mis à faire des petits “b-boy” de la tête aux pieds, jusqu’à me concentrer particulièrement sur les visages. Je m’inspirais donc de graffeurs qui ne réalisaient que des visages, tout en essayant de trouver mon propre style.
Tu as commencé par un personnage masculin avec ce qu’on peut appeler “une vraie gueule”. Comment as-tu progressé vers des visages féminins aux lignes plus arrondies, tout en gardant cette forte expressivité ?
Au départ, je faisais beaucoup de personnages un peu “caricaturés”, puisque je partais de deux lignes bien précises : une qui délimitait les yeux, donnant la forme de la tête et une ligne perpendiculaire et centrale qui était celle du nez. C’était un graphisme assez carré sur lequel je me basais beaucoup à l’époque. J’avais une approche plus proche du dessin. Au début, quand je faisais des femmes, ça pouvait d’ailleurs leur donner un aspect un peu androgyne. Aujourd’hui, je m’inspire davantage de photos et les lignes sont plus arrondies.
Racontes-tu implicitement quelque chose derrière ces visages mystérieux ou est-ce avant tout une perspective esthétique et visuelle ?
Moi, je fais de l’impact visuel. Comme pour le tag, j’ai cette même démarche d’essayer de peindre le plus possible et que ce soit visible. Il se passe plein de choses dans ces visages, mais je laisse la libre interprétation aux gens de se raconter des histoires. Je n’ai pas d’idée ou de thème précis derrière. Ce qui me plaît c’est l’impact que peut avoir le graphisme lorsque tu le découvres en passant dans une rue. Après, on peut remarquer que je fais toujours des regards en coin, c’est ce qui donne une expressivité particulière à mes personnages.
Travailles-tu essentiellement à la bombe ? Comment parviens-tu à effectuer ce travail de contour et de remplissage aussi nettement ?
Je peins essentiellement à la bombe. Sur mur, je procède directement à la bombe ou avec un aplat à l’acrylique en amont, pour avoir une belle surface. Après, c’est une gestuelle et une maîtrise technique qui s’acquiert à force de faire, en s’entraînant. C’est avant tout un travail de lignes, de remplissage et j’essaie d’être le plus technique possible avec les embouts de bombe dont je dispose et la peinture que j’utilise. Par contre sur toile, comme ce sont des supports plus petits, j’ai cherché pendant plusieurs années une technique pour pouvoir reproduire ce que je faisais sur mur sur de plus petits formats. Pour ce procédé, j’utilise la bombe et une sorte de pochoir.
Effectues-tu une expérimentation sur papier avant de te lancer en extérieur ?
Aujourd’hui, j’ai toujours une esquisse pour préparer mon travail sur mur. J’utilise notamment le logiciel Illustrator qui me permet de redessiner mes lignes et remplir mes formes de manière assez rapide. Quand j’arrive sur mur, j’ai toujours une esquisse sur mon téléphone qui est quadrillée, puisque je travaille au carreau. C’est une technique qui permet de reproduire des petits formats en plus grand et de retrouver les proportions du dessin. Tout est préparé à chaque fois. Lorsque j’arrive sur mur, je sais exactement ce que je vais faire et quelles couleurs je vais mettre car il faut pouvoir aller vite.
Le choix d’association de couleurs chaudes et de couleurs froides apporte un relief, une singularité remarquable à tes personnages. Comment opères-tu ce contraste ?
Le volume se crée par le camaïeu. Peu importe la couleur que je vais mettre, je vais pouvoir créer du volume si j’ai au moins un camaïeu de six couleurs, claires et foncées. J’utilise souvent du violet, du bleu, puisque ce sont des couleurs assez opaques et plus faciles à travailler. Ce sont souvent des choix techniques. J’ai cependant un panel de couleurs assez vaste. Après, je délimite des zones pour choisir où je vais mettre tel bleu, tel rose… Il y a des zones comme les paupières, le nez, la joue qui doivent contraster. Je jongle vraiment sur la disposition des couleurs.
As-tu le souvenir d’une œuvre de grande ampleur qui t’aurait particulièrement marqué ? Combien d’heures de travail a-t-elle nécessité ?
Je pense à la dernière pièce que j’ai faite à Paris, sur un gros mur de 30 mètres de long sur 5 mètres de large. J’ai travaillé dessus pendant sept jours avec une nacelle. C’était une belle expérience, puisque c’était l’un des plus gros murs que j’ai pu faire. On s’est réunis avec l’association Osaro, nous étions sept artistes à nous partager cet énorme mur, avec chacun 30m x 5m à disposition.
Découvrez les dernières créations d’Alber sur son compte Instagram.
Propos recueillis pas Joséphine Roger
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